quasi-usufruit

Le 26 septembre 2024, l’administration fiscale a publié ses commentaires sur l’article 774 bis du Code Général des Impôts (CGI). Cet article encadre les dettes issues de certains quasi-usufruits, en précisant les conditions dans lesquelles elles peuvent être déduites de l’assiette successorale.

Contexte et objectif

L’exécutif a introduit l’article 774 bis pour encadrer la déduction des dettes issues d’un quasi-usufruit dans les successions. Ce texte s’applique notamment aux donations de sommes d’argent assorties d’une réserve de quasi-usufruit.

L’objectif est de limiter les montages fiscaux principalement motivés par une réduction des droits de succession, tout en préservant les opérations légitimes à finalité patrimoniale ou familiale.

Le nouvel article 774 bis du Code général des impôts vient instaurer un dispositif fiscal visant à refuser la déduction de certaines dettes nées d’un quasi-usufruit de l’assiette des droits de succession et à les soumettre à l’impôt successoral :

I.- Ne sont pas déductibles de l’actif successoral les dettes de restitution exigibles qui portent sur une somme d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit.

Le présent I ne s’applique ni aux dettes de restitution contractées sur le prix de cession d’un bien dont le défunt s’était réservé l’usufruit, sous réserve qu’il soit justifié que ces dettes n’ont pas été contractées dans un objectif principalement fiscal, ni aux usufruits qui résultent de l’application des articles 757 ou 1094-1 du Code civil.

II.- Par dérogation à l’article 1133 du présent code, la valeur correspondant à la dette de restitution non déductible de l’actif successoral mentionnée au I du présent article donne lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs.

Pour la liquidation des droits dus lors de la succession, en application du présent II, l’article 784 ne s’applique ni sur la valeur des sommes d’argent dont le défunt s’était réservé l’usufruit, ni sur celle des biens dont le défunt s’était réservé l’usufruit du prix de cession.

Les droits acquittés lors de la constitution de l’usufruit sont imputés sur les droits dus par le nu-propriétaire, sans pouvoir donner lieu à restitution.

Usufruit et quasi-usufruit : définitions simplifiées

Pour mieux comprendre les implications de cet article, il est essentiel de revenir sur les notions d’usufruit et de quasi-usufruit :

  • Usufruit : L’usufruit permet à une personne d’utiliser un bien appartenant à un autre (le « nu-propriétaire »). Par exemple, un usufruitier peut habiter une maison ou percevoir les loyers d’un appartement, mais devra restituer le bien au terme du contrat.
  • Quasi-usufruit : Ce régime s’applique aux biens « consommables » comme l’argent ou les stocks. L’usufruitier peut utiliser ces biens ou les dépenser, mais devra les restituer en fin de contrat, sous forme d’une somme équivalente ou d’autres biens de même nature.

Exemple pratique : Lors d’une succession, si le conjoint survivant hérite de l’usufruit des comptes bancaires, il peut dépenser librement ces liquidités. En contrepartie, les héritiers nus-propriétaires détiennent une créance sur sa succession.

L’usufruit

L’usufruit découle du droit de propriété divisé en deux propriétés distinctes : le droit de jouissance d’une part, le droit de disposer d’autre part. L’article 578 du Code civil définit l’usufruit comme étant « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ».

L’usufruit est donc un droit de jouissance sur le bien. Ce droit peut être direct ou indirect :  il est possible de se servir du bien personnellement ou d’en percevoir les fruits (exploitation, mise en location, par exemple).

L’usufruit est un droit temporaire, au terme duquel l’usufruitier doit rendre la chose au « nu-propriétaire ».

Le quasi-usufruit

Le quasi-usufruit est un régime spécifique d’usufruit, réservé à certains biens particuliers. Défini par l’article 587 du Code civil, il concerne les « choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs ». L’usufruitier a alors la charge de restituer « soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

Ainsi, il concerne les biens dits « consomptible au premier usage ». Nous voyons bien ici la logique : comment jouir d’une somme d’argent sans la dépenser ? Une fois consommée, comment la rendre au nu-propriétaire à la fin de l’usufruit ? Afin de ne pas léser le nu-propriétaire, le régime du quasi-usufruit instaure une dette de « restitution » au profit du nu-propriétaire.

Principales mesures de l’article 774 bis

  1. Dettes non déductibles :
    Les dettes issues d’un quasi-usufruit volontaire, c’est-à-dire résultant d’une décision personnelle de l’usufruitier (comme une donation assortie d’une réserve de quasi-usufruit), ne sont pas déductibles de l’actif successoral.
  2. Dettes exclues de la non-déductibilité :
    Les dettes imposées par des circonstances légales ou patrimoniales (usufruit légal du conjoint survivant, par exemple) ne sont pas concernées par cette disposition.
  3. Preuve à fournir :
    Si l’opération est contestée, il appartient au contribuable de prouver que la dette de quasi-usufruit n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal.

Exemple pratique : Une dette née de la cession d’un bien immobilier démembré (avec report de l’usufruit sur le produit de la vente) pourrait être non déductible, sauf si le contribuable démontre que l’opération avait une finalité patrimoniale et non fiscale.

Certaines dettes de restitution sont expressément exclues du champ d’application de l’article 774 bis, comme :

  • Les dettes nées de l’usufruit légal ou conventionnel du conjoint survivant
  • Les dettes nées de l’usufruit résultant d’un avantage matrimonial ou d’un préciput dans un contrat de mariage
  • Les dettes nées de l’usufruit résultant d’un legs ou d’une donation à cause de mort d’un partenaire de PACS ou d’un concubin
  • Les dettes de restitution résultant d’une clause bénéficiaire démembrée relative à un contrat d’assurance-vie, puisque le bénéficiaire est titulaire d’un usufruit institué par le souscripteur
  • Les dettes nées d’un quasi-usufruit portant sur des dividendes prélevés sur les réserves

Les droits déjà acquittés lors de la donation avec réserve d’usufruit sont imputés sur les droits de mutation par décès auxquels le nu-propriétaire est assujetti. Cette imputation est applicable même si les droits de donation ont été acquittés par le donateur.

Dans l’hypothèse où l’actif successoral ne permet pas au nu-propriétaire de recouvrer totalement sa créance ou seulement partiellement, celle-ci ne sera pas imposable à concurrence du montant irrécouvrable.

À des fins d’illustration, le BOFIP intègre :

  • Un exemple de liquidation des droits de succession en présence d’un héritier détenteur d’une créance de restitution contre le défunt (quasi-usufruitier) non déductible
  • Un exemple illustrant la dispense de rappel fiscal de la donation à l’origine du démembrement

Clarifications apportées par l’administration fiscale

Pour mieux comprendre comment cet article s’applique concrètement, l’administration a détaillé plusieurs critères et exceptions dans sa mise à jour :

  • Critères d’évaluation :
    Pour démontrer qu’une opération n’a pas d’objectif principalement fiscal, plusieurs éléments peuvent être pris en compte, tels que :

    • Le délai entre la donation et la cession du bien.
    • Les raisons patrimoniales ou familiales justifiant l’opération.
    • La liberté de l’usufruitier dans la gestion des biens concernés.
  • Exceptions :
    Certaines dettes de restitution restent déductibles de l’actif successoral. Par exemple :

    • Les dettes issues de l’usufruit légal du conjoint survivant.
    • Les dettes liées à des avantages matrimoniaux ou à des contrats d’assurance-vie avec clause bénéficiaire démembrée.

Que faire si vous êtes concerné ?

Si vous avez déjà constitué un quasi-usufruit ou êtes concerné par une succession impliquant de tels montages, il est essentiel d’anticiper et de sécuriser votre situation. Voici les étapes clés à suivre :

  1. Analysez votre situation avec un conseil : Un professionnel pourra identifier si les dettes concernées sont potentiellement non déductibles et évaluer les preuves nécessaires pour justifier vos choix.
  2. Documentez vos décisions : Conservez des justificatifs démontrant que vos opérations ont une finalité patrimoniale ou familiale, comme des contrats ou des lettres d’intention.
  3. Envisagez des solutions adaptées : Selon votre situation, vous pourriez :
    • Rembourser par anticipation les dettes concernées pour éviter tout litige futur.
    • Transformer un quasi-usufruit en usufruit classique grâce à un investissement commun entre usufruitier et nu-propriétaire.

Si vous êtes concerné, pas d’inquiétude. L’essentiel est d’analyser votre situation avec un expert pour sécuriser vos choix et anticiper les conséquences fiscales.

Dette non concernée par la non-déductibilité

Exemple : dette née de l’usufruit légal du conjoint survivant

Si ce cas peut paraître simple, il conviendra toutefois de conserver les preuves de l’origine du démembrement afin de parer à tout contentieux fiscal.

Dette non-déductible

Exemple : dette née de la donation de la nue-propriété d’une somme d’argent

Deux solutions sont possibles :

  • Rembourser la dette par anticipation : il est possible de procéder à l’extinction de l’usufruit par anticipation, ce qui règle la question de la dette.
  • S’il est possible de créer un quasi-usufruit en vendant un bien démembré, l’inverse est également possible. Ainsi, usufruitier et nu-propriétaire peuvent s’entendre pour effectuer conjointement un investissement en y reportant le démembrement.

Dette déductible sous réserve de prouver un objectif non principalement fiscal

Exemple : dette née de la vente d’un bien préalablement donné avec réserve d’usufruit

Il faudra étudier la situation pour apprécier le degré de risque fiscal : avons-nous la capacité de démontrer l’intention non principalement fiscale ? Nous renvoyons aux critères de l’administration : temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien, motivations patrimoniales de la cession, degré de latitude de l’usufruitier à décider.

Ici aussi, il faudra se constituer des preuves à opposer à l’administration fiscale en prévision de la succession à venir.

En cas de doutes, il sera possible pour usufruitier et nu-propriétaire d’investir ensemble pour transformer le quasi-usufruit en usufruit classique. Cette solution nécessitera néanmoins de pouvoir justifier l’origine des fonds afin de démontrer qu’il y a une subrogation réelle.

Conclusion

L’article 774 bis du CGI soulève des questions sur la fiscalité des successions et la déductibilité des dettes de quasi-usufruit. Si vous êtes concerné, il est essentiel de sécuriser votre situation avec un professionnel pour éviter tout contentieux.

Pour anticiper les impacts de cette nouvelle réglementation sur votre patrimoine, prenez rendez-vous. Nous vous aiderons à sécuriser vos choix et à optimiser votre stratégie successorale.

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